La nouvelle philanthropie : éthique, durable et … rentable !

Si la crise financière que nous traversons actuellement touche essentiellement les classes moyennes et les couches déjà les plus fragilisées, les grandes fortunes sont toutefois ébranlées par les bouleversements autant économiques, sociaux quenvironnementaux qui les amènent à rechercher des moyens dinvestir et de donner plus concrets et efficaces. Plus que jamais, le rôle des philanthropes est vital pour la sortie de la pauvreté de certaines populations au Nord comme au Sud. La nouvelle philanthropie se veut aujourd’hui responsable, durable et, pourquoi pas… rentable. Rencontre avec Virginie Issumo, engagée en philanthropie, membre bénévole du board de différentes fondations privées et fondatrice des a.s.b.l. «Coup de Pouce» et « Green Mango».

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Virginie Issumo, née au Congo, de père congolais et de mère belge, a grandi dans une famille ouverte à l’autre et sensible à la détresse humaine. Aussi, dès l’adolescence, elle s’investit tout naturellement pour les enfants de Kinshasa emprisonnés arbitrairement ou vivant dans des camps militaires dans des conditions réduisant leur chance de survie. Après avoir soutenu avec ses proches le projet de réinsertion sociale de 1.000 enfants de la rue créé par le Père Guido Matarrese, aujourd’hui autonome grâce au projet d’extension agricole au Plateau des Batéké, Virginie a initié au Katanga des micro projets d’entrepreneuriat social dont l’apiculture, des formations pour des femmes analphabètes et des cours d’éveil à l’art et à l’écologie pour des enfants moins chanceux.

Avec une expérience de plus de 20 ans dans le notariat, la planification patrimoniale et la philanthropie, Virginie pointe le besoin croissant des familles fortunées en Europe et dans les autres continents de contribuer activement à la mise en place de solutions durables à travers leur mode de production de biens et services, leur choix d’investissements financiers et finalement leur façon de vivre et de sensibiliser les générations futures à la solidarité et au respect de la nature.

La philanthropie est multi dimensionnelle. Outre sa dimension religieuse, philosophique, culturelle et socio-économique, elle est hautement subjective et émotionnelle et touche à l’épanouissement personnel. Il n’y a pas de seuil de fortune pour être philanthrope. Toutefois plus un patrimoine matériel ou la détention d’un corpus de valeurs est important, plus la question de sa préservation et de sa transmission se pose. Quel qu’en soit le motif – l’altruisme, la reconnaissance sociale, le devoir moral ou la recherche d’une certaine immortalité -, le don en temps, moyen ou savoir-faire procure une grande satisfaction, un bien-être et un enrichissement indéniable autant pour la personne qui donne que celle qui reçoit. C’est donc un ‘win-win’ !

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L’enthousiasme et la bonne volonté ne suffisent pas pour agir utilement et efficacement. Comme pour lancer une entreprise, s’organiser en philanthropie nécessite une vision, une stratégie, une écoute et un échange préalables avec les personnes à aider ou les causes à défendre. En amont, un travail de réflexion sur ce que l’on veut faire, avec quels moyens, quand (de son vivant ou après sa mort), où et pour qui est donc indispensable. En décidant de donner, un philanthrope ne transmet pas uniquement des avoirs, il/elle marque son entourage ou son époque d’un comportement et de convictions, en impliquant aussi sa famille sur deux ou trois générations et ses collaborateurs.

Le conseil de spécialistes pour capitaliser sur des expériences existantes, assister la famille ou le candidat-philanthrope dans la rédaction des statuts, de la charte, des règles de fonctionnement et dans le suivi ainsi que pour optimiser les donations et utiliser l’’outil’ le mieux adapté permet de gagner du temps et de l’argent. Ainsi il est possible d’agir en philanthropie, en fonction de ses objectifs et des moyens alloués, au travers d’une association de fait, d’une société civile, d’une a.s.b.l., d’une fondation privée ou d’utilité publique, d’une fondation abritante de type la Fondation Roi Baudouin, d’une dotation d’entreprise ou d’un fonds philanthropique. Le patrimoine dédié à la philanthropie pouvant parfois être conséquent, sa gestion avant affectation à des projets sociaux ou charitables doit également répondre à des critères correspondant aux valeurs et à la vision des donateurs. Limpact finance et les investissements responsables ont dans ce cadre un potentiel énormes de développement. De plus, de nombreuses études dont celle menée par des chercheurs de Harvard Business School and London Business School [1] montrent la rentabilité supérieure de sociétés produisant de manière durable.

Enfin, la philanthropie permet donc de gérer en bon père de famille une fortune en l’optimisant humainement, financièrement et fiscalement. Elle permet aussi de transmettre des visions et un exemple, de souder des familles et des entreprises autour de valeurs en se positionnant discrètement ou de manière visible dans un domaine caritatif déterminé. C’est un processus personnel qui se fait du vivant du donateur; un engagement long terme enrichissant qui plus rend heureux. Et cette joie est contagieuse!

 

La nouvelle philanthropie, ou lart de bien donner

Pour éviter des déceptions ou des dons à fonds perdus, la philanthropie se doit d’être intelligente. C’est un véritable partenariat d’égal à égal – nous avons toujours à apprendre d’une autre personne ou d’un autre environnement -, un contrat structuré autour d’objectifs et de valeurs réalistes et durables. De plus en plus de philanthropes donnent autrement et appliquent les principes de gestion d’entreprises à leurs projets désintéressés. Le « social business » éthique et responsable répond à cette tendance. A l’instar de la société Olivado, qui produit de l’huile d’avocat bio en Nouvelle Zélande et au Kenya et permet ainsi à des centaines de fermiers indépendants de valoriser cette huile grâce à un outil de production très performant et écologique. Ils ont ainsi pu développer toute une économie autour de cette production et contribuer au bien-être de toute une communauté locale. Une preuve que les initiatives s’inscrivant dans le sens d’un enrichissement mutuel sont gagnantes sur le long terme. Les philanthropes s’imposent des obligations de résultat : l’aide doit désormais avoir un impact qualitatif et quantitatif, rendre autonome et être rentable. Il s’agit d’un accord gagnant-gagnant entre donateurs et bénéficiaires. Ou mieux, entre investisseurs sociaux, responsables et acteurs innovants, générateurs in fine de performance durable, d’emplois et de fortune pouvant être redistribuée… »

Désormais, l’acte de donner, tout en étant utile et agréable, est profitable pour ses bénéficiaires, la nature et l’économie et fait partie de la solution à la crise générale que nous traversons.

Un bracelet pour la Paix

‘Last but not least, Coup de Pouce a lancé une action d’un an en faveur de la Paix le 21 septembre dernier à l’occasion de la Journée de la Paix initiée par la plateforme Peace One Day (www.peaceoneday.org). Cette action est matérialisée par un bracelet intemporel Peacer© (peacer.link) en solidarité avec les enfants restés en Syrie et au Congo RD et qui peuvent ainsi bénéficier de soins, de l’instruction et de loisirs entre 2 bombardements et encore croire que la paix est possible. Achetez dés aujourd’hui un bracelet Peacer© made in Luxembourg pour devenir à l’occasion de la Journée Internationale de la Paix du 21 septembre, un ambassadeur de la Paix. Commande du Peacer© à 20€ TTC pc en argent hypoallergénique avec cordon réglable en coton (modèle unisexe) par email à info@peacer.link. Le montant total du prix de vente est versé aux projets soutenus.
www.coupdepouce.net

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[1] http://business-ethics.com/2011/11/14/1503-study-finds-sustainable-companies-significantly-outperform-financially/

Les enfants de l’océan

Leina Sato, une jeune artiste et apneiste, et Jean-Marie Ghislain, photographe, sont unis par une même passion pour l’océan. Avec leur fille Nai’a, ils sillonnent la planète pour tisser des relations inter espèces, et diffuser un appel à l’ouverture des consciences et au dialogue pour notre survie commune. Le cinéaste Jan Kounen et sa compagne Anne Paris viennent de leur consacrer un film d’une profonde beauté. Focus sur une tribu d’exception. par Nathalie Kuborn

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Elle, le visage lunaire et lumineux, la douceur du yin. Artiste, passionnée par les cétacés, Leina a élu l’océan comme son havre de paix. Un appel qui s’est fait sentir au début de l’adolescence : « A 14 ans, j’ai souffert d’une grosse dépression qui m’a fait perdre mon appétit de vivre. Ce cap, a priori douloureux, s’est révélé comme une opportunité providentielle qui a changé le cours de ma vie, suite à une rencontre avec une amie de ma maman. Son message : suivre ce qui me met en joie. C’est ce que j’ai retenu de son enseignement et, à l’écoute de moi-même, j’ai pris conscience que le contact avec l’océan et la rencontre avec les dauphins sauvages me procurait ce bien-être. Nous avons suivi cet appel et nous avons quitté l’environnement urbain de Paris pour partir à la rencontre des dauphins d’Hawaï. Le début d’une nouvelle, d’une merveilleuse aventure… ».

Lui, l’aventurier, son yang. Il a surmonté ses peurs pour côtoyer les requins et devenir l’un de leurs meilleurs ambassadeurs : « A 50 ans, ma phobie de l’eau était toujours intacte, j’ai donc décidé de m’y confronter. Je suis parti voir un ami qui m’a emmené progressivement vers les profondeurs et me suis familiarisé avec la plongée dans cet environnement nouveau pour moi. Toute ma vie, j’avais projeté une peur sur les requins. Mais le jour où je les ai enfin rencontrés au Mexique, ce fut une révélation, un moment de jubilation, le contraire de tout ce que j’avais imaginé ! Nous étions cinq à vivre cette expérience formidable et nous sommes tous sortis de l’eau avec une même aspiration : leur rendre justice en faisant quelque chose capable de changer l’image que nous avons d’eux. Je suis donc parti sur un projet de livre qui devait durer six mois… pour revenir de cette vie de nomade, quatre ans et demie plus tard, avec les images que je cherchais. »

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Une harmonieuse alliance

« Nous avons tous les deux reçu une invitation à contribuer au mieux-être du monde »

En shooting, Jean-Marie découvre une vidéo de Leina en tête à tête avec une baleine à bosse, dans un halo de grâce et toute l’infinie douceur qui caractérisent la naïade japonaise. C’est le coup de cœur, que leur rencontre va confirmer. Neuf mois de partenariat les amènent à leur plus belle création : la conception de « Petite étoile », Nai’a, enfant de l’océan.

Leurs projets prennent alors un nouveau contour : Jean-Marie devient le miroir de la grossesse de sa compagne et en fige les étapes dans une série de clichés sublimes et émouvants, où Leina évolue parmi ses amis les cétacés. Ensemble, ils témoignent de ces moments de partage et de liens dans un livre poétique dédié à leur fille, avec laquelle ils étudient dans un profond respect les possibilités de communication entre les espèces, et la façon dont s’établissement les schémas de transmission intergénérationnels.

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Leur univers nous ouvre la porte vers le mystère et l’inconnu. Il nous interpelle par sa sensibilité, nous rappelle la fragilité de notre existence, sa nécessité de reliance, et nous ramène à la conscience fondamentale de l’interdépendance des êtres, dont chaque espèce peut nous enseigner son savoir-vivre, à condition d’être à l’écoute :

« La planète n’a pas besoin d’être sauvée, elle a besoin d’être aimée. »

A travers leurs nombreuses initiatives : les expositions de Jean-Marie, la méditation de 24h « We are ocean » dont Leina Sato est marraine (aux côtés de Paul Watson, le fondateur de Greenpeace), leurs conférences, livres respectifs et communs, ou le film de Jan Kounen et Anne Paris « … (les projets ne manquent pas !), la tribu Sato-Ghislain, avec Nai’a et leurs amis les baleines, les cachalots, les dauphins et les requins,  sont des ambassadeurs de premier plan pour une réalliance avec la biosphère.

Un engagement qu’ils souhaitent renforcer aujourd’hui par la création d’une fondation destinée à promouvoir ces valeurs de respect, tisser de liens entre les espèces, et nous faire prendre conscience des merveilles parfois insoupçonnés de l’océan. Cette magnifique initiative, nous l’espérons, rencontrera un large soutien pour la réalisation de ce « cinquième rêve », cher au cœur de Leina.

 

 

Jean-Marie Ghislain – Peur Bleue « Au milieu de requins je suis devenu un homme libre », Editions Les Arènes, octobre 2014

Jean-Marie Ghislain « L’Invitation », Editions les Arènes

Leina Sato « L’enfant de l’Océan », avec des photographies de Jean-Marie Ghislain, Editions Les Arènes, octobre 2015

Jan Kounen & Anne Paris : « Mère Océan »

Le site de Jean-Marie Ghislain : ghislainjm.com

« We are ocean » : www.24earth.org

Kris Dane « Rose of Jericho »

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Plus soul, universel et abouti que ses albums précédents, tout en restant fidèle à son écriture personnelle puisant ses racines dans la grande tradition du songwriting américain, Kris Dane nous livre son nouvel opus, « Rose of Jericho », un véritable petit bijou de musicalité porté par une voix envoûtante !

Ses deux premiers albums, qui continuent de nous plonger aux racines d’un blues teinté de country, gospel ou du rock and folk, sont imprégnés de grandes figures comme Johnny Cash, Tom Waits, Bob Dylan, ou Leonard Cohen,… Ici les références aux couleurs de Marvin Gaye, Van Morrison, Harry Belafonte ou Johnny Clegg viennent élargir encore la palette de l’artiste, conférant une touche « soul » supplémentaire aux rythmes africains… pour composer dix morceaux puissants où l’émotion est omniprésente.

Avec ses amis jazzmen, Kris Dane a convoqué autour de son dernier album deux toutes grosses pointures de la scène anglosaxonne… et pas des moindres. D’une part au mixage, Tom Elmhirst le multi-grammy-awarded pour certaines de ses collaborations avec Adele, Amy Winehouse, Arcade Fire, Beck, The Black Keys, Paolo Nutini, Ellie Goulding, Florence & Mark Ronson, The Kills, The Civil Wars ou U2 (pour ne citer qu’eux), de l’autre, Chris Elliot aux cordes, qui s’était également fait remarquer par ses arrangements pour Adèle, Amy Winehouse ou James Morrison. Un soin tout particulier est donc apporté au choix des sonorités, mixées dans le studio new-yorkais de Jimmy Hendrix : « Elles sont essentiellement acoustiques, portées par des rythmiques subtiles mais groovy, un certain swing est présent sans être dominant, combiné aux violons, que j’avais en tête pour enrichir une base clavier-guitares-orgues… » Un bel atout supplémentaire et un nouveau tournant pour l’auteur compositeur-interprète, dont la carrière recense, parmi une pléthore de groupes, des collaborations de haut vol : dEUS, Aka Moon, ou Ghinzu, dont il fut le guitariste pendant deux ans avant de revenir, en 2006, à son identité musicale personnelle.

Dernier volet d’une trilogie remarquable, « Rose of Jericho » en est donc, par les contributions extérieures venues enrichir les compositions de son auteur, l’album le plus abouti. Ses textes n’y suivent pas de thématique spécifique, mais suivent un processus narratif tout empreint de poésie : « J’y parle de ce que je vois, ce que je vis… surtout d’amour et des mouvements qui composent ma vie, c’est plutôt personnel. »

« Golden Rain », premier single mis en avant, décrit comme « somptueux et intemporel », s’impose déjà dans les classiques du genre. On y ressent toute la profondeur émotionnelle et spirituelle de cet enfant du gospel et du blues, dont la voix aux formidables textures nous emmène en voyage dans des contrées solitaires, aussi intimistes qu’universelles.

Golden Rain

Pour qui connaît l’investissement de Kris Dane sur scène, touchant au mystique tant il semble habité par l’esprit de la musique, et après son passage à l’Ancienne Belgique le 17 octobre dernier, ses prochains concerts s’annoncent d’ores et déjà exceptionnels.

http://www.krisdane.com

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Kris Dane « Rose of Jericho », PIAS recordings & MBE

Trinh Xuan Thuan : « Nous sommes tous des poussières d’étoiles… »

Il a le sourire au coin des yeux et le regard qui pétille d’intelligence. Un reflet des étoiles qui brillent dans ses pupilles, à tant les plonger dans le cosmos ? L’astrophysicien vietnamien Trinh Xuan Thuan était de passage à Bruxelles pour nous présenter son nouveau livre « Le Cosmos et le Lotus ».

C’est le cours du destin, ou le fameux « chaos scientifique » du hasard qui orienté les pas de Trinh Xuan Thuan aux moments déterminants de sa vie. De son enfance au Viêtnam, en parallèle avec les événements historiques tragiques qui ont frappé son pays, à l’aventure américaine de l’apprentissage et de la recherche, Trinh Xuan Thuan nous raconte les événements marquants de son existence : la séparation du jeune étudiant avec sa famille lorsqu’il décroche une bourse à l’université de Virginie, l’enfermement de son père lors de la défaite du Sud, leurs retrouvailles miraculeuses et les moments clé de sa carrière passionnante. Un récit tout en sensibilité, où il nous décrit sa première extase cosmique : « L’expérience scientifique déterminante sur l’orientation de ma carrière s’est produite la nuit où j’ai découvert pour la première fois la lumière cosmique qui nous provient depuis des milliards et des milliards d’années, avant même que les atomes de mon corps n’aient été créés grâce aux poussières d’étoiles, cela a provoqué une grande émotion en moi. »

Au-delà de son parcours personnel, Trinh Xuan Thuan revisite l’évolution de la science occidentale et les mouvements philosophiques qui y sont liés. Brillant, curieux de tout, il nous initie, à travers la recherche scientifique, aux tentatives humaines sans cesse renouvelées de découvrir les lois fondamentales de l’univers et de la vie, et d’approcher le « Saint Graal », ou la réalité ultime. Profondément ancré dans la tradition bouddhiste, il établit les convergences entre science et spiritualité, celle-ci étant nécessaire à l’enrichissement de la connaissance. Car pour Trinh Xuan Thuan, les progrès de la science se doivent de s’accompagner d’une plus grande conscience et il nous invite à emprunter une voie d’intelligence ouverte : « Si nous avions tous conscience que notre origine est commune, que nous sommes tous issus des poussières d’étoiles, et que la création est basée sur l’interdépendance de ses composants, nous abolirions les frontières physiques et mentales qui nous séparent. Notre société nous bombarde de valeurs matérialistes et de besoins artificiels. Nous accordons trop d’importance aux choses au lieu de plonger notre regard à l’intérieur de nous-même. Mais avons-nous pour autant le bonheur ? Je reste persuadé qu’un véritable progrès passe par la connaissance et la spiritualité, qui en sont les clés. »

Trinh Xuan Than : « Le cosmos et le lotus », Albin Michel, 2011

« Mourir est un art, comme tout le reste »

Pour son premier roman, la critique littéraire Oriane Jeancourt Galignani revisite la dernière nuit de la poétesse américaine Sylvia Plath en tentant de percer les mystères de sa vie… et de sa mort. Un roman subtil et forcément poétique, où l’imaginaire et la plume de la première s’entrelacent à l’histoire et aux écrits de la seconde. Rencontre…

20130605-135928.jpg photo : Patricia Lecomte

Oriane Jeancourt Galignani, qu’est ce qui vous a motivée à tenter de sonder les ombres de cette vie s’échouant sur une fin aussi tragique ?

Je connaissais les romans Sylvia Plath mais j’ai découvert sa poésie il y a trois ans et j’ai été profondément interpellée par le recueil qu’elle a écrit la dernière année de sa vie, « Ariel ». Comment une femme célébrant autant l’existence dans son écriture avait-elle décidé de mettre fin à la sienne, alors qu’elle avait tout pour être heureuse ? C’est ce que j’ai essayé de comprendre à travers mes recherches et ensuite au cours de mon processus d’écriture. De manière plus large, certaines de ses obsessions correspondaient aux miennes et sont, à mon sens, universelles : l’angoisse, la mélancolie, et surtout, le spectre dominant de sa culpabilité, de ne pas être à la hauteur en tant que mère, et qui prend chez elle des proportions énormes. Sylvia Plath était d’une exigence obsessionnelle envers elle-même.

Qu’aviez-vous envie de partager avec vos lecteurs ?

La fascination d’un mouvement paradoxal de l’existence : on peut à la fois avoir une « vie de rêve » : jeunesse et beauté, talent et reconnaissance, un mari célèbre et deux beaux enfants, et pourtant, se laisser submerger par des pulsions morbides fatales. Je crois que tout un chacun peut se reconnaître dans la lutte de cette femme, mais surtout, je serais heureuse que mon roman donne envie de découvrir son héritage littéraire exceptionnel !

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Nathalie Kuborn

L’intelligence des plantes

« Savons-nous ce que serait une humanité qui ne connaîtrait pas la fleur ? » Maurice Maeterlinck

Les plantes sont–elles dotées d’une forme d’intelligence ? Métaphorique pour les uns, réel pour d’autres, le concept divise. Mais les dernières recherches en biologie moléculaire ont mis en lueur certaines aptitudes comportementales remarquables chez les végétaux. Et celles-ci ne peuvent que susciter un plus grand respect encore face à cette forme de vie sans laquelle la nôtre serait tout simplement inexistante… par Nathalie Kuborn

Depuis toujours, les humains observent le comportement des plantes. On retrouve déjà dans la mythologie grecque des nombreuses descriptions à ce sujet. Il sera remis en lueur par Charles Darwin qui annonçait notamment les prémices du phototropisme, ou la capacité qu’ont les plantes de réagir à la luminosité de leur environnement pour réaliser la photosynthèse. A priori incapables de se mouvoir, les plantes ont tout de même la faculté d’adapter leur courbure de manière à pouvoir recevoir cette lumière qui leur est essentielle. Les inflorescences de tournesol sont un exemple remarquable d’héliotropisme. C’est Chandra Bose (1858-1937) qui avança le premier l’hypothèse d’une forme d’intelligence chez les plantes, en démontrant l’importance de signaux électriques dans le mouvement des feuilles de mimosa en réponse au toucher.

Mais les scientifiques du XIXe n’ayant pas le « droit » d’ « anthropomorphiser » les plantes, malgré des similitudes évidentes, il aura fallu près d’un siècle pour que le concept d’intelligence végétale refasse surface, et de nouvelles découvertes importantes ont été faites. On a ainsi identifié des molécules similaires aux neurotransmetteurs d’animaux : la « systémine », un peptide transporté à travers l’organisme qui active une réponse après un contact avec un récepteur : lorsqu’une feuille est attaquée par un prédateur, la systémine se diffuse vers les organes qui se préparent. D’autres hormones, comme l’auxine, coordonnent remarquablement la réponse des organes aux stimuli externes. Au-delà de la cellule, les plantes sont également capables de communiquer entre elles pour signaler l’arrivée de prédateurs : une chenille mâchant une feuille libérera certains signaux qui alertent leurs voisines, dès lors en mesure de se protéger en produisant des molécules toxiques pour contrer ces prédateurs.

Alors, peut-on véritablement parler ici d’intelligence ? A la source du débat que le sujet suscite au sein de la communauté scientifique vient in prime la notion même d’intelligence. Quelle définition lui apposer ?

Si nous prenons celle proposée par le philosophe et psychologue néo-zélandais David Stenhouse : « l’intelligence est un comportement adaptatif qui varie au cours de la vie d’un individu », la réponse serait : oui ! Car au sein de cet univers végétal, qui paraît si paisible, se déroule en réalité une impitoyable bataille perpétuelle face à laquelle les plantes, ambitieuses, investissent la terre malgré leur immobilité apparente. Comme l’écrivait Maurice Maeterlinck : « S’il se rencontre des plantes et des fleurs maladroites ou malchanceuses, il n’en est point qui ne soient dénuées de sagesse et d’ingéniosité. Toutes s’évertuent à l’accomplissement de leur oeuvre ; toutes ont la magnifique ambition d’envahir et de conquérir la surface du globe en y multipliant à l’infini la forme d’existence qu’elles représentent. Pour atteindre ce but, elles ont, à raison de la loi qui les enchaîne au sol, à vaincre des difficultés bien plus grandes que celles qui s’opposent à la multiplication des animaux. Aussi, la plupart ont-elles recours à des ruses, à des combinaisons, à une machinerie, à des pièges, qui, sous le rapport de la mécanique, de la balistique, de l’aviation, de l’observation des insectes, par exemple, précédèrent souvent les inventions et les connaissances de l’homme. »

Question de sensibilité

De là à dire que les plantes ont une sensibilité comparable à la nôtre, il n’y a qu’un pas (sensible !) à franchir ? Osera t’-on ? Ceux qui s’y sont risqués se sont fait clouer au pilori par les scientifiques les plus rationnels, au mieux, taxés d’illuminés new age. C’est ce qui arriva à Cleve Backster, lorsque ce spécialiste du polygraphe eut l’étrange idée d’utiliser ce détecteur de mensonges, en 1966, pour tester le pouvoir émotionnel de la plante. En la menaçant de brûler une de ses feuilles, il voit l’appareil, qui lui est relié, s’affoler. De nombreuses expériences (dont le protocole est controversé), amèneront Backster à confirmer sa théorie sur l’émotion des plantes. Malgré des résultats plus étonnants les uns que les autres, les recherches de Backster sont toujours contestées par la majorité de la communauté scientifique (comme l’a été pendant très longtemps – et parfois même encore aujourd’hui… – l’idée que l’animal pourrait avoir une conscience, ressentir des émotions et être sensible à la douleur !).

Et que penser du « phénomène Don José Carmen Garcia Martinez » : cet agriculteur mexicain est connu dans le monde entier pour son travail avec les plantes, ses légumes géants, et ses rendements exceptionnels : des choux de 45 kgs, des pieds de maïs de 5 mètres de haut, des feuilles de blette de un mètre cinquante de long, 7 à 8 courges par pied (contre 1 à 2 habituellement) ou 110 tonnes d’oignons par hectare (contre 16 tonnes normalement)… ?

Pour Don José Carmen, c’est l’amour qui lui donne cette main verte ! Et c’est ainsi, par la communication affective qu’il établit mentalement avec elles et le savoir traditionnel aztèque, qu’il a obtenu des résultats miraculeux, sur une terre pourtant presque stérile : “J’ai commencé par m’asseoir auprès des plantes, je me suis mis à les observer. Puis je leur ai demandé de m’aider. Les plantes, comme tout ce qui vit, ont une forme d’intelligence qui leur permet de communiquer avec nous, il suffit de les écouter. Parfois, pendant la nuit, je sens que mes plantes ont soif, alors je marche jusqu’à mon champ, et je les arrose jusqu’à ce qu’elles soient satisfaites. C’est absurde d’appliquer à la lettre les conseils d’arrosage, car, comme les hommes, chaque plante est différente… » Chimistes, agronomes, techniciens et ingénieurs ont suivi le travail de cet homme et ses résultats étonnants. Des ingénieurs du Ministère de l’agriculture mexicain sont venus analyser l’eau, les légumes, les semences et surtout le terrain volcanique de l’agriculteur… Rien de particulier n’a été décelé. Et les champs voisins ne donnent que des plantes « normales ».  » Quand je suis allé concourir avec 153 ingénieurs de l’administration agricole à Mexico , je les ai battu de 2000% avec les choux. 110 tonnes à l’hectare : la vérification a été faite par leurs soins, ils n’ont même pas atteint 6 tonnes ! ». Don Carmen cultive sans pesticides et multiplie pourtant jusqu’à dix fois la production agricole ! Il utilise 700 grammes de fertilisants par hectare, au lieu des 500 kilos habituels dans l’agriculture intensive, il cultive sur terres salées, il crée de nouvelles plantes résistantes aux maladies, non transgéniques, etc… A travers son amour pour les plantes, à l’écoute de la nature en toute humilité, en respectant simplement ses lois comme le faisaient ses ancêtres précolombiens, l’homme réussit des prodiges et obtient des rendements extraordinaires… Pour Don Carmen, les plantes ont une forme d’intelligence : elles peuvent communiquer avec nous, et nous pouvons apprendre à les écouter, les respecter et les aimer…

A lire :

Goethe : « Métamorphoses »

Maurice Maeterlinck : « La vie de la nature »

Yvo Perez-Barreto, « L’homme qui parle aux plantes »

Jeremy Narby : « L’intelligence dans la nature »

Remerciements à Matthieu de Carbonnel, biologiste moléculaire, Université de Lausanne. Il travaille sur le phototropisme et à Syngenta, sur la réponse des plantes à l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère et à la sécheresse.

Flying Horseman : « Twist »

Obsessionnelles, lancinantes ou exaltées, les mélodies du groupe anversois  Flying Horseman prennent leurs racines dans un champ musical incroyablement diversifié. Leur nouvel album « Twist »  contient des références très éclectiques. D’une part, au roots américain, au country et à l’héritage de bluesmen aux styles très particuliers comme Blind Lemon Jefferson ou Mississipi John Hurts. De l’autre, et tout en passant par le classique, l’ethnique, le post folk, le blues noir ou le jazz,…  au british sound de Joy Division.  nathalie kuborn

Formé au jazz studio d’Anvers, Bert Dockx, le chanteur-guitariste-auteur-compositeur  de « Flying Horseman » a exploré le jazz sans limites avant de fonder son groupe, il y a quatre ans : « J’ai commencé seul, un peu en réaction à toutes ces années consacrées exclusivement au jazz, à l’impro libre et au jazz expérimental. Je n’avais jamais osé aborder l’écriture de textes et le chant. Finalement, le  processus a été très spontané. En seulement deux mois, j’ai  écrit une dizaine de chansons, sans vraiment oser les confronter au public. Puis j’ai rencontré Loesje Maieu qui a formé les chœurs du groupe avec sa sœur Martha. Loesje m’a encouragé à monter sur scène… »

Il a le feu sacré. Ses compositions sont portées par une voix complètement investie, déterminée, prédicatrice. Ses textes, sombres de prime abord, convoquent toutes les forces de vie dans une respiration quasi-mystique. Les choeurs envoûtants des sœurs Maieu, les deux sirènes homériques des Blackie and the Oohoos, renforcent le climat onirique des chansons. L’univers étrange de David Lynch n’est jamais loin.

Twist

Produit par Koen Gisen, « Twist » nous livre le regard critique de son auteur sur notre société et les impressions qu’elle génère en lui : « Thématiquement, deux pôles se dégagent dans nos chansons. D’une part, j’y exprime des émotions très intimes pour lesquelles j’essaye de trouver les mots. De l’autre, un regard social est posé. Nos chansons nous font passer  d’un pôle à l’autre. » La musique y est intense, très visuelle : «  Le film « The last wave », de Peter Weir a eu pas mal d’influence sur l’écriture de l’album.  C’est un thriller écologique apocalyptique, très mystique et… très angoissant. ».

Une musique authentique 

Tout au long des douze incantations qui composent l’album, les six musiciens nous entraînent dans rituel tribal aux accents parfois gothiques du rock noir et aux dimensions spirituelles bien ancrées dans le blues. La réalité y est implacable. Elle ne permet ni salut, ni rédemption : l’espoir est un leurre car tout finit par se consumer. L’angoisse à son paroxysme, le « « Flying Horseman » se fait Messager d’Apocalypse et brûle le feu de sa révolte : « L’idée fondatrice de notre musique est d’interpeller tant les émotions que les pensées et les instincts les plus profonds… De renvoyer l’auditeur à sa vérité, même si elle n’est pas toujours agréable à voir ou qu’elle ne trouve pas sa place dans notre société. Nous ne sommes  pas là pour créer une ambiance festive ou confortable.  On essaye de faire quelque chose qui sort du cadre imposé, d’aller au-delà des images produites par la dictature de l’industrie, d’en dépasser les illusions pour nous réapproprier certaines questions fondamentales de l’existence. Nous sommes bien plus libres que la société ne nous veut nous le fait croire, il y a tout un potentiel en chacun de nous. Quand je joue, j’ai l’impression de rentrer en contact avec une partie de moi  que la société réprime et de toucher à l’essence même de la vie, à sa dimension spirituelle… Et j’espère qu’en live, notre musique peut atteindre cette dimension chez l’autre… »

Twist – Unday Records UPC

Bookings : www.bestov.be

Facebook : https://www.facebook.com/media/set/?set=a.424153581541.216180.576061541&type=1#!/flyinghorseman

Pour écouter l’album : soundcloud.com/undayrecords/sets/flying-horseman-twist/buy

A la lisière de l’espace… : « big jump » !

Le compte à rebours a commencé… le ballon qui emmène le champion de base jump Felix Baumgartner à la limite de la stratosphère a entamé son ascension. Le défi de cette mission particulière menée tambour battant par l’équipe de Red Bull Stratos : permettre à Baumgartner de devenir le premier homme dépassant la vitesse du son en chute libre. Un record précédemment attribué (et contesté), à celui qui l’a précédé en 1960, le capitaine Joseph Kittinger, lors d’une quadruple performance simultanée : la plus haute ascension en ballon, le saut en parachute le plus haut, la plus longue chute libre et la plus grande vitesse atteinte par un être humain dans l’atmosphère.

Flash back…
Il a le courage de l’explorateur, l’intrépidité de l’aventurier et l’étoffe des héros. Le capitaine Joseph Kittinger a fait de la bravoure et du volontariat un art de vivre. Quand le commun des mortels rechigne face à la peur, lui s’y confronte, la nargue et la vainc. Ainsi est faite la vie de Joseph Kittinger qui, de la recherche spatiale à la guerre du Vietnam, n’a jamais fait l’économie d’une audace : « Toutes les bonnes choses de ma vie me viennent du volontariat ». Aussi, il se portera notamment volontaire pour le projet Excelsior qui, à sa troisième édition, le 16 août 1960, lui confèrera les records cités plus haut. Kittinger y a accompli un saut de 13 minutes et 45 secondes à partir de 31.300 mètres d’altitude, dont 4,5 minutes de saut libre. Malgré les avancées technologiques considérables de la recherche ces dernières décennies, 52 ans plus tard, ce saut n’a jamais été égalé. Par sa manière d’aborder la vie, Kittinger nous inspire à vaincre nos peurs et à dépasser nos limites.

La relève
Parachutiste et base jumper autrichien, Felix Baumgartner est né le 20 avril 1969. Tête brûlée, il est réputé pour ses sauts particulièrement audacieux. Ainsi, dans la longue liste de ses records, il fut notamment, la première personne à traverser la Manche en chute libre en utilisant une aile en fibre de carbone fabriquée spécialement pour cet événement et il a établi le record du monde de base jump le plus bas jamais effectué, en sautant de la main du Christ Rédempteur de Rio de Janeiro au Brésil. Le saut hors-normes qu’il s’apprête à effectuer, il le prépare depuis plusieurs années. Initialement prévu pour le 9 octobre, il a été reporté à aujourd’hui pour des raisons climatiques, à la grande déception de Felix Baumgartner qui éprouve ainsi les mêmes frustrations que son prédécesseur 52 ans plus tôt, en pareilles circonstances. Aujourd’hui, il devrait atteindre l’altitude de près 37000 mètres et franchir au cours de son saut la vitesse du son.

Ce projet vise à notamment à expérimenter l’impact de l’atmosphère sur le corps humain, et ceci, dans le cadre du développement du tourisme spatial – plus spécifiquement, le développement des combinaisons spatiales pressurisées.

Baumgartner, encadré par son équipe et soutenu par Kittinger, accomplira-t-il sa mission ? Réponse d’ici quelques heures….

Augustin Dumay – Abdel Rahman El Bacha : regards croisés

Abdel Rahman El Bacha et Augustin Dumay nous présenteront leur troisième volet consacré aux sonates de Beethoven au Palais des Beaux-Arts ce mercredi 28 mars.

Ils se sont unis pour interpréter l’intégrale des Sonates pour Violon et Piano. Une rencontre en trois temps : trois soirées exceptionnelles, trois volets d’un triptyque au cours desquels ces deux personnalités de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth nous ont déjà livré un dialogue beethovenien tout en contrastes.

Les sonates
Augustin Dumay : ces sonates nous emmènent en voyage… Elles nous invitent à une ascèse, une consécration spirituelle. Elles nous permettent de faire le point sur l’évolution musicale de Beethoven, ou la nôtre, et expriment aussi inévitablement une prise de position. Leur auteur nous offre une merveilleuse occasion de développer des thèmes essentiels, dans une relation entre la musique et la spiritualité. Elles ont été écrites dans un langage universel, ce qui les rend si difficiles et exigeantes à interpréter, car il faut pouvoir s’adresser à l’humanité tout entière sur un ton juste. Bach parle à Dieu. Schubert s’adresse à l’intimité de chacun d’entre nous. Mozart a développé tout un dialogue social opératique. Beethoven touche la part spirituelle de notre humanité. Pour les interprètes, il y a là un véritable défi à relever : être capable d’évoquer l’humain, ses nuances et ses oppositions, sans devenir sentimental. Il nous faut trouver des solutions qui soient justes et perceptibles pour la société humaine en général, dans une approche qui requiert paradoxalement une très grande proximité et une très grande distance.

Abdel Rahman El Bacha : On sent dans cette œuvre une réponse à la grande solitude de son auteur et l’expression du sentiment d’amitié dont il a été privé dans sa vie. L’esprit de répartition des éléments de composition est des plus équitables : pas une phrase confiée au violon qui ne soit reprise au piano et vice-versa. L’écoute et le dialogue ont une valeur démocratique évidente, car Beethoven instaure ce dialogue dans un rapport d’égal à égal entre deux personnes qui se respectent et s’apprécient. Deux personnalités très différentes se rencontrent dans une même pulsation, un même tempo, tout en nuances. Pas de confrontation musicale, donc, ni de suprématie, mais bien des énergies complémentaires et un sens du défi tout Beethovenien.

Beethoven
Augustin Dumay : Il y a deux dimensions importantes chez Beethoven : l’architecture et une forme de distance ou de lucidité par rapport au monde. Comment être philosophe sans distance ? Ce qui pourrait arriver de pire à Beethoven serait d’être joué de manière romantique ou sentimentale. C’était un homme très solitaire qui avait des rapports difficiles aux autres. Sa relation à l’amour a été tragique. Solitude et exigence s’y dressent en conditions existentielles prédominantes. Le conflit est permanent dans son œuvre. Certains moments, plus terriens, moins dramatiques, peuvent exprimer l’insouciance. Ils évoquent le pouvoir réconfortant de la nature, qui nous tend la main et nous aide à faire face à notre destin.

Abdel Rahman el Bacha : Pour moi, Bach, Mozart, Beethoven et Chopin sont quatre compositeurs que je considère comme summum de la musique. Dès mon plus jeune âge, j’ai senti qu’il y avait quelque chose d’accompli, de parfait dans leurs écritures et j’ai été enclin à y exploiter toutes mes capacités. Chez Bach et Mozart, le style est plus impersonnel, on ne saisit pas vraiment l’être humain derrière l’œuvre tandis que chez Beethoven et Chopin, on peut percevoir l’âme du compositeur dans tout ce qu’elle avait de personnel, original, philosophique et émotionnel.

La musique classique
Augustin Dumay : La question à nous poser aujourd’hui est : comment faire pour que la musique classique ait toujours sa place dans nos vies ? Les évolutions technologiques, la rupture de la transmission, à travers laquelle l’héritage classique perdure… font qu’il ne suffit plus aux salles de concert d’attendre leur public. Nous devons porter la musique vers les gens. Autrefois, la musique faisait partie de la culture familiale. On peut effectivement constater une baisse du niveau de culture en général, mais la musique n’est pas que de la culture, elle est essentiellement l’expression de la vie. Et donc du plaisir, du bonheur, l’impatience, la peine,… toutes les émotions. Notre rôle à nous, ses transmetteurs, est de la porter dans la rue, dans les écoles, pour faire découvrir au public toute sa richesse et toute sa raison d’être aujourd’hui.

Abdel Rahman El Bacha : Rencontrer des mélomanes qui savent vraiment écouter la musique avec leur cœur, tout en finesse, cela m’apporte beaucoup dans ce métier qui est difficile car il est exigeant. Certains jours, on peut ne pas se sentir en forme mais on n’a pas le droit à l’à peu près, ni à l’erreur, il nous faut toujours viser l’excellence. Seule l’excellence peut donner un avenir à la musique classique. Pour moi, l’excellence combine la fidélité envers l’œuvre et la capacité de la rendre vivante. Tant la musique du passé que la musique contemporaine : ces musiques doivent vivre. Notre responsabilité, en tant que musiciens reconnus, est de transmettre l’ héritage classique au mieux de nos capacités. Si cette musique a traversé les siècles et les frontières, c’est parce qu’elle a une vraie valeur. Elle donne un sens à notre vie, elle nous aide à vivre. Mais nous devons la respecter telle qu’elle est, dans son exigence, sa sensibilité, son émotion. Cette musique évoque notre histoire, nos aspirations, nos révoltes,… elle me paraît toujours aussi essentielle et universelle.

Mercredi 28.03.2012 20:00
Augustin Dumay, violon
Abdel Rahman El Bacha, piano
 
Ludwig van Beethoven – Sonate pour violon et piano n° 1, op. 12/1, Sonate pour violon et piano n° 2, op. 12/2, Sonate pour violon et piano n° 3, op. 12/3, Sonate pour violon et piano n° 9, op. 47, « Kreutzer »
 
Palais des Beaux-Arts / Salle Henry Le Bœuf

Le dentifrice de Goran Bregoviç

Goran Bregoviç, 2011 - Jean-Claude Encalado

« la création est comme un tube de dentifrice : il faut la presser pour en faire sortir la pâte.»

Un père colonel croate et une mère comptable serbe, six années de violon, des études de philosophie, des collaborations avec Iggy Pop, Kusturica, Chéreau… Goran Bregoviç esquive d’emblée toute classification, à un bémol près : « Chez nous, si tu es dans la musique, tu es considéré d’office comme un gitan. J’ai commencé très tôt, dans les bars traditionnels ou les bars de strip-tease, à jouer avec d’autres musiciens… »

La musique de Goran-le-déjanté cadre ce petit grain de folie propre à l’humanité tout en sortant des principes harmoniques établis depuis l’antiquité. Tour à tour, elle nous plonge dans les profondeurs abyssales de l’âme, non sans nostalgie, et nous ramène à la surface avec humour dans un trait d’allégresse. L’artiste se joue des modes comme il se joue des genres, il n’a cesse de réinventer son univers prolifique d’où émergent parmi les plus belles pages de notre patrimoine musical contemporain. Mais n’attendez pas de lui qu’il nous éclaire sur les mystères du processus de sa création phénoménale : « Vous savez, la musique, c’est difficile à contrôler, on ne sait pas véritablement d’où ça vient ni comment ça va sortir. Je suis un compositeur professionnel. Je ne suis pas là, comme on pourrait peut-être se l’imaginer, assis à mon piano devant un coucher de soleil à attendre l’inspiration. Je travaille comme tout le monde, je commence à 9h30 et à 17h30, c’est fini. Pour moi, la création est comme un tube de dentifrice : il faut la presser pour en faire sortir la pâte. » Pragmatisme ou pudeur ? Toujours est-il que, tant en conférence de presse qu’en interview, l’homme cache son regard derrière ses lunettes noires et se fait quelque peu prier pour s’exprimer… en toute sympathie.

Son inspiration est débordante et il sait s’entourer : « Je travaille parfois très rapidement. Mes musiciens ont tous un très haut niveau, ils sont triés sur le volet. J’aime donner, mais j’aime aussi recevoir. Certains d’entre eux ont des formations académiques pointues, d’autres sont des « analphabètes » car ils ne savent pas lire la musique. Ce qui laisse une part belle à l’improvisation. Ensuite, la formation de cuivres de mon orchestre des mariages et enterrements n’est jamais parfaitement accordée, ce que j’aime beaucoup : cela ajoute cette petite touche de folie essentielle à mes yeux. »

https://www.youtube.com/watch?v=Qg44qKSbsdQ&feature=related